Le 1er mai 1910, le père de Marc, Alphonse Puissant, organise une grande fête pour l’inauguration du « château de la Contentinière », la propriété qu’il vient d’acquérir, à la sortie de Cognac, en direction de Javrezac. En fait de château, c’est une petite maison dans la prairie :
Mais la famille a de l’humour, et le lieu est présenté avec emphase dans l’invitation :
Dans un de ses poèmes, Marc parle de la Contentinière ainsi :
Les prairies verdoyantes, où voltigent les papillons,
Quoi rêver de plus beau, pour un brave travailleur,
De pouvoir se reposer, après une semaine de labeur
Dans une maison de campagne, avec toute sa famille.
Ils peuvent sans danger, s’étendre sous la charmille.
C’est la Contentinière où s’écoule ma journée à loisir.
Le procès-verbal est écrit dans un style humoristique délicieux qui exprime bien l’esprit d’une époque ô combien révolue. La fête est, dirait-on aujourd’hui, un « barbecue » décontracté et populaire au cours duquel, dit le compte rendu, « les professions les plus diverses étaient représentés : la ferblanterie, la tonnellerie [1], la boucherie, l’électricité, l’épicerie, l’agriculture, la banque, la peinture, l’habillement et le bâtiment. ». Le procès-verbal ajoute un peu plus loin : « La politique fut complètement bannie, les conversations furent tellement choisies qu’un gendre aurait pu permettre à sa belle-mère de les entendre... » ! Qu’en termes élégants ces choses sont dites !
Mais c’est en lisant la suite du procès-verbal que j’ai soudain un choc et que je comprends tout ! Le rédacteur poursuit ainsi sa relation de l’inauguration :
Après le champagne et le café-Cognac, les assistants ont cru qu’il serait très bien pour commémorer cette petite fête fraternelle, de demander à l’artiste Marc Puissant, le secours de son appareil photographique ; ce qui fut dit fut fait. Et c’est ainsi que les descendants du châtelain Puissant, en lisant ces lignes et en contemplant ce groupe photographique pourront dire qu’en ce temps-là, on savait se comprendre et s’amuser.
Je n’en crois pas mes yeux ! Ainsi, Marc, en 1910, à l’âge de 17 ans, était passionné de photographie !
Pour le coup, je me sens en totale communion avec ce Marc Puissant que je n’ai jamais connu et dont personne n’a jamais entendu parler. Comme lui, j’ai deux passions depuis mon plus jeune âge, l’écriture et la photographie. J’ai d’ailleurs commencé les deux activités la même année, en 1959, à 8 ans ! Oui, tout à coup, je me sens très proche, en résonance complète avec ce garçon qui, à 17 ans, prenait des photos de famille, ce qui n’était pas très répandu. Et sans doute à l’époque écrivait-il déjà des poésies...
J’étais loin de me douter, quand j’ai décidé de commémorer la guerre de 14-18 à ma manière, en parlant de mon grand-oncle, que les rares fils tirés de ma petite pelote de souvenirs m’amèneraient ainsi à me découvrir dans ce « soldat poète » une sorte de jumeau au sein de ma constellation familiale ! Dans notre famille, côté maternel ou côté paternel, il n’y a que deux individus qui se sont ainsi passionnés pour l’écriture et pour la photographie, Marc et moi.
Je suis très ému par cette découverte, réalisée un peu par hasard, au détour d’une phrase d’un texte qui me paraissait sans grand intérêt.
Et cette petite phrase m’apporte sans doute la clef de mon énigme. Elle se trouve bien cachée dans une expression : « l’artiste Marc Puissant ». L’artiste... Si le rédacteur de ce compte rendu parle ainsi de Marc c’est que son sens artistique est déjà connu de tous, malgré son jeune âge. Il doit s’exprimer à chaque instant. Cette mention montre que Marc, au sein de cette famille ouvrière de ferblantiers était perçu comme un être à part, un « artiste ». Tout petit déjà, il devait se sentir différent des autres membres de sa famille que pourtant il aimait, comme le montrent ses lettres — différent au point de monter tenter sa chance à Paris avec une ambition artistique affichée — différent au point de mourir dans la plus totale indifférence. Sans doute était-il le vilain petit canard de la couvée ? Le poète maudit qui finit soldat inconnu...
Plus maintenant.
Et dans ton sein s’écoulera tous mes vieux jours.
Notes
[1] Les tonneaux sont très importants dans le Cognac !